Idées préconçues - Jacques Lusseyran
Nous passons notre temps à préférer les idées
que nous avons du monde, au monde même.
L'égoïsme n’est qu’une forme,
et très particulière, de cette préférence totale.
Ce qui m’empêche de lire dans la pensée d’autrui,
ce n’est pas le silence d’autrui, ou même ses mensonges.
C’est le bruit que je fais, dans ma tête, à son sujet.
Avant d’aller à lui, je calcule,
je pèse et contre-pèse les mérites et les torts,
je tire déjà ma conclusion.
Cette conclusion, je la crie dans mes propres oreilles.
Je m’enivre d’elle, je m’endors déjà sur elle.
Comment pourrais-je m’étonner ensuite de ne pas voir
cet homme que j’ai enseveli dans mon vacarme ?
Je me suis dressé dans mon armure d’habitudes,
dressé moi-même entre lui et moi.
Je vais donc me tromper, être trompé,
m’établir enfin dans ma solitude – une solitude hostile.
Ah ! L’artificielle misère,
et comme il serait plus simple de faire attention !
Comme cela nous rendrait heureux !
- Lu dans "Le monde commence aujourd'hui" -
- Photo : Balance ancienne -
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